LA COLLÉGIALITÉ PÉDAGOGIQUE

ET 

LA CULTURE PROFESSIONNELLE DANS UNE ÉCOLE

             On ne peut pérorer sur le professionnalisme enseignant sans parler de sa principale conséquence ou de son effet inévitable sur la vie quotidienne de l'enseignante et de l'enseignant: la collégialité pédagogique. De même, on ne peut avoir une vision collégiale de la gestion pédagogique d'une école sans un professionnalisme du personnel enseignant, entier et authentique. La collégialité pédagogique pourrait être au coeur de toute vision d'un professionnalisme à la fois dynamique et coopératif. Un véritable professionnel ou une véritable professionnelle dans l'enseignement est une personne qui a atteint un certain degré d'autonomie et de responsabilisation. La participation au processus décisionnel peut être une expérience significative et nécessaire pour une personne qui a atteint ce degré d'expertise liée aux savoirs propres à sa profession. S'il y a convergence des autonomies entre le personnel enseignant et la direction, le fonctionnement efficace et harmonieux de l'école peut être davantage une réalité et ce climat sain peut contribuer discrètement, mais profondément à la qualité du milieu d'apprentissage pour les jeunes.(A.E.F.O., 1990, La gestion participative)

            La collégialité pédagogique reconnaît dans les faits l'expertise professionnelle et personnelle des membres du personnel enseignant et de la direction. Le développement d'un établissement devrait être inspiré de cette collégialité pédagogique. La direction et l'équipe enseignante doivent avoir une vision semblable de la profession d'enseignant et d'enseignante pour féconder un véritable projet collectif et éducatif. Allons plus loin dans notre réflexion. Une conception semblable du professionnalisme entraînerait-elle une gestion du personnel qui serait plus sensible à l'évolution professionnelle du corps enseignant et permettrait-elle une véritable collégialité pédagogique décisionnelle?

 Une communauté de leaders... solidaires

            De fait, Barth(1988) définit cette collégialité comme une communauté de leaders où l'on partage les mêmes croyances, les mêmes rites, les mêmes normes et les mêmes activités. Il affirme que ce leadership exercé en communauté est bien plus qu'un aspect du professionnalisme, il en est la pierre angulaire. Le professionnalisme et le leadership sont une seule et même chose.

             Lieberman, Saxl, Miles(1988) affirment que les recherches de Little(1986) et de Rosenholtz(sous presse) montrent que bâtir une collégialité est essentiel à une plus grande culture professionnelle dans les écoles. Certes, ils ont constaté qu'il revient à la direction de l'école de créer un climat facilitant un travail collégial. C'est pourquoi Prost(1990) ajoute qu'il ne faudrait pas affirmer l'autonomie sans la solidarité, sinon elle conduirait à l'anarchie et discréditerait l'idée même de décentralisation.

 Des enseignantes et des enseignants mobilisés

            Fullan et Connelly(1987) vont très loin en affirmant que le corps enseignant devrait être le principal responsable de la structure, de l'administration et de l'organisation du programme scolaire et de la vie quotidienne dans les écoles. Certes, les personnes formées spécialement pour faire partie du personnel de direction ont un rôle important. Par contre, ces responsabilités devraient s'exercer selon le modèle collégial que ces auteurs proposent. C'est pourquoi les différents postes administratifs devraient faire partie d'un continuum soigneusement conçu à l'intention de l'enseignant de carrière, à l'intérieur duquel l'administration ne représente pas le point culminant mais plutôt un prolongement de la responsabilité de l'enseignant dans une carrière comprenant du travail en classe et hors classe (Fullan et Connelly, 1987: 61).

            Toutefois, un contexte de collégialité implique une mobilisation du corps enseignant. En conséquence, un principe extrêmement important se dégage de cette position, selon lequel de telles mobilisations ne se décrètent pas par voie administrative. Si l'on veut une mobilisation des enseignants, il faut un style nouveau de gestion de cet énorme service qu'est l'enseignement (Prost, 1990: 121).

 Un partenariat à l’intérieur de chaque école

            C'est par la régulation locale que peut être favorisée cette mobilisation puisqu'elle serait un facteur de responsabilité pour les personnes engagées aux différents niveaux de l'agir éducatif de toute l'école. L'avantage n'est pas mince, car il ne suffit pas d'avoir une bonne solution pour régler les problèmes, il faut aussi et surtout que les uns et les autres se mobilisent pour mettre en oeuvre la solution. (Prost, 1990: 125) Les ministères de l'Éduca­tion doivent garder la définition des objectifs et des grandes normes de fonctionnement; la répartition égale des ressources (Prost, 1990: 126). En revanche, c'est dans l'école, dans chaque équipe éducative que se trouve la responsabilité de choisir ses pratiques en fonction des moyens dont on dispose. Toute gestion moderne rapproche la décision du niveau où se posent les problèmes (Prost, 1990: 146).

            Il est frappant d'observer d'un point de vue sociologique, à quel point le personnel enseignant est généralement éloigné de la prise des décisions qui l'affectent. Les programmes, les examens, les horaires, la gestion du personnel, les promotions, les reclassements relèvent presque en exclusivité de gens qui ne mettent à peu près jamais les pieds dans une classe. La gestion quotidienne de l'école, si elle est basée sur un partenariat entre les administrateurs et le corps enseignant, implique nécessairement la réciprocité dans l'échange d'information et l'établissement de consensus dans les processus d'action. Cependant, selon Conley et Baccharach(1990) la mise sur pied d'une structure participative relève d'une vision administrative qui considère les enseignants comme des professionnels. Ces auteurs nous mettent, aussi, en garde contre le danger de faire du corps enseignant un corps d'intendants par un processus de co-optation, centré sur une régulation administrative.

 Trois principes importants de professionnalisation

            Dès lors, Conley et Bacharach(1990), énoncent trois principes importants qui devraient appuyer ce professionnalisme enseignant: 1. Les enseignants doivent être les véritables maîtres des savoirs pédagogiques. 2. Les activités d'enseignement ne sont pas des automatismes routiniers. 3. L'essentiel de l'acte d'ensei­gner est de prendre des décisions.

            De plus, selon Miller(1988), les enseignantes et les enseig­nants peuvent fort bien être des chefs de file aussi bien en ce qui concerne la conception des programmes que le perfectionnement du corps enseignant, parce que les deux vont de pair. Une telle approche enverrait un message clair dans tout le système scolaire, selon lequel les savoirs professionnels se retrouvent bien plus dans la classe et l'école que dans les mains d'experts ou d'administrateurs pédagogiques loin de la classe.

 Le propre du savoir enseignant

            Ainsi, il y a des habiletés qui sont propres à l'enseignement et transmissibles à d'autres adultes, et ces habiletés se conceptualisent, s'organisent en un tout cohérent, sont explicables et présentables en des mots clairs. Surtout, ces éléments s'adaptent aux autres personnes pratiquant la même profession, même si l'enseignement est un apprentissage difficile, long et compliqué. Selon Miller(1988), lorsque les enseignants et les enseignantes voient leurs collègues comme de véritables experts, ils réfléchissent sur leur propre expérience et valorisent ce qu'eux-mêmes savent et sont capables de faire. Non seulement, cette expertise se transmet mais, en la transmettant, les enseignantes et les enseignants apprennent tout autant, car c'est la façon la plus certaine d'assurer sa propre conceptualisation de son agir professionnel et d'en faire une évaluation formative.

            Il est important de se rappeler que ces savoirs d'expérience procurent aux membres du corps enseignant des certitudes partagées et partageables dans les relations avec les pairs et donc à travers la confrontation des savoirs issus de l'expérience collective des enseignantes et des enseignants (Lessard, 1991: 22). C'est de cette façon que ces savoirs, acquis de façon subjective, peuvent s'objectiver. Lessard ajoute plus loin que les certitudes subjectives doivent alors se systématiser afin d'être traduites en discours d'expérience capable d'informer ou de former d'autres enseignants et de répondre à leurs problèmes (Lessard, 1991: 22).

            Voilà justement le lieu(les savoirs enseignants) où les enseignantes et les enseignants peuvent se sentir engagés dans une expérience commune qui les lie de façon responsable. Si le personnel enseignant a une responsabilité effective dans la planification de l'ensemble du curriculum scolaire, il ne pourra que se percevoir comme groupe de collègues, selon Miller (1988).  Ils mettront en commun leurs expériences et leur expertise. Ils chercheront à établir des consensus sur ce qui fonctionne dans la classe. Dans cette optique, l'isolement et le caractère privé de la pratique seront remplacés par une action collective et collégiale.

            Certes, l'enseignante et l'enseignant seront toujours "rois et maîtres" dans leur classe, mais ils ne seront plus isolés. Surgira une conséquence importante: habitués de recevoir des marques de reconnaissance presque exclusivement des élèves, ils trouveront appui et motivation chez leurs collègues, signe d'une solidarité plus mature. Qui plus est, cette créativité professionnelle de groupe peut les inciter à être les auteurs des volumes et cahiers de travaux pratiques utilisés, de fait à être les artisans de leurs stratégies d'enseignement.

 La responsabilisation réelle et la qualité de l’éducation

            De toute façon, le personnel enseignant doit prendre part aux décisions pédagogiques qui ont des conséquences dans la classe si l'on veut vraiment susciter sa participation et sa responsabilisa­tion dans l'acte pédagogique. La perception qu'il en a conditionnent pour une large part son image, c'est-à-dire sa perception de sa responsabilité professionnelle, donc de son autonomie et de sa participation effective à une collégialité pédagogique décisionnelle.

            Il y a un lien direct entre la responsabilisation et la volonté d'atteindre une plus grande qualité dans la relation éducative. En effet, plus le milieu scolaire agit selon un contexte de collégialité pédagogique, plus le corps enseignant est responsable de l'acte pédagogique. Là où il y a absence de collégialité, il y a très souvent lutte de pouvoirs ou, à l'inverse, indifférence et routine. Dans les deux cas, les élèves en paient le prix.

 Caractéristiques d’une communauté de leaders en collégialité pédagogique

·      Le leadership, exercé en collégialité, est partagé au sein du personnel, il n'appartient pas en exclusivité à la direction.

·      Les responsabilités impliquant des décisions sur la vie pédagogique peuvent être partagées entre les membres du personnel de l'école. De fait, c'est l'expertise pédagogique de chacun qui fait autorité en la situation, cette autorité (à caractère organique) ayant préséance sur l'autorité hiérarchique (à caractère mécaniste ou administrative) lorsqu'elle concerne le projet pédagogique de l'école.

·      Les membres du personnel enseignant qui auront à subir les conséquences d'une décision directement liée à l'exercice de leurs fonctions pédagogiques participent au processus de cette prise de décision, par l'entremise de représentants.

·      Les décisions sont prises le plus près possible du lieu pédagogique où se passe l'action.

·      Surtout, le processus de mise en application des décisions de nature à affecter le personnel enseignant dans l'exercice de ses fonctions est préalablement déterminé de façon démocratique.

 La supervision pédagogique dans un contexte de collégialité pédagogique

            Le leadership pédagogique, exercé en collégialité, suppose une supervision pédagogique fondée sur l'animation pour une direction d'école. En ce sens, une collégialité pédagogique exige évidemment des compétences particulières chez la direction. Certes, il y a la compétence technique; que l'on pense aux moyens didactiques, au curriculum ou à l'évaluation. Mais la direction ne peut être spécialiste en tout. Elle est d'abord et avant tout une personne qui anime en agissant à l'intérieur d'une relation d'aide pédagogique. L'éducation a souffert et souffre encore d'être trop hiérarchisée. On a beaucoup plus besoin de maîtres à penser ou de gens qui inspirent que de maîtres à diriger ou de personnes qui surveillent. Il est admis dans tous les discours que l'éducation est une relation. Commençons par nous donner l'exemple entre éducateurs!

            Ainsi, la supervision pédagogique, assurée par la direction, peut être un outil de gestion mais elle doit viser la valorisation de la pédagogie et non celle d'une bureaucratie qui chercherait à tout contrôler par de nombreuses mesures tatillonnes. C'est à l'intérieur d'une pédagogie éprouvée et centrée sur l'élève que l'on vérifiera la qualité de l'enseignement et des apprentissages. Voilà, d'ailleurs, où la collégialité pédagogique peut permettre au curriculum de se déployer de façon authentique et congruente. Trop souvent, le projet éducatif annonce de bien beaux objectifs dans de beaux discours pompeux, mais qu'en est-il du curriculum effectif, celui qui se fait dans la réalité? La collégialité permettrait, par ce biais, de se dire le véritable curriculum et de se déclarer les véritables intentions pédagogiques. Souvent l'enseignant ou l'enseignante fonctionne dans l'à-peu-près, dans l'intuitif. Un véritable travail collégial, suscité par une coordination pédagogique traversée par une vision de professionnalisation de l'enseignement, conduirait les différents acteurs à une plus grande cohérence entre la pratique, les intentions pédagogiques, la formation continue et le projet éducatif.

            De plus, lorsque l'on examine les divers aspects de la supervision pédagogique, on ne peut qu'accepter le rôle de pivot que peut et doit jouer la formation continue dans une coordination pédagogique qui se voudrait efficace. Pensons à l'application des programmes, à l'organisation et à la planification des cours, aux stratégies d'enseignement, au choix et à l'utilisation du matériel didactique, à la relation entre l'élève et l'enseignant et au climat de la classe, à l'évaluation formative et sommative, au rattrapage des élèves faibles et à l'enrichissement des élèves doués comme autant de domaines où la direction joue non seulement un rôle d'animateur, mais bien plus, un rôle de motivateur, en vue d'inspirer les élans les plus féconds vers une pédagogie renouvelée. Encore plus, elle peut orienter l'enseignant et l'enseignante vers une pédagogie ressourcée, c'est-à-dire celle qui va puiser aux sources du dynamisme inscrit au plus profond de l'âme de chaque éducateur.

 Où en sommes-nous dans le milieu scolaire ?

            Dans son Rapport annuel 1991-1992 sur l'état et les besoins de l'éducation, La gestion de l'éducation: nécessité d'un autre modèle, le Conseil supérieur de l'éducation(1993) fait un bilan plutôt sévère de la situation de la gestion de l'éducation, -et par conséquent du modèle qui l'inspire-, après avoir rencontré et consulté de nombreuses personnes et fait une consultation publique sur le sujet. Certes, il y a des acquis importants: une meilleure structuration du système, une meilleure maîtrise des fonctions de gestion et, aussi, un partenariat aux relations plus ouvertes. En revanche, les lacunes sont sévères et importantes. D'une certaine façon, les acquis sont devenus à ce point maîtrisés qu'ils ont peu à peu quitté le domaine des affaires "éducatives" pour répondre à des besoins relevant des affaires "administratives", érigées en système et dont la préoccupation est de répondre à sa logique interne de plus en plus bureaucratique, selon le C.S.E.(1993). Dans ce contexte, on est loin des élèves en relation éducative avec l'enseignante et l'enseignant.

            Le conseil(1993) énumère quelques-unes de ces pratiques:

-une trop grande concentration sur l'administration des affaires courantes et ponctuelles;

-le maintien d'une conception traditionnelle du leadership;

-le peu d'empressement à effectuer l'examen critique des actions et à évaluer les résultats obtenus;

-des carences importantes relatives à la vision prospective, au leadership de participation et à l'évaluation critique.

            Un bilan n'est pas toujours tout à fait mauvais ou bon. Certes, selon le Conseil, ici et là, des initiatives, des pratiques et des gestes émergent, témoignant déjà des orientations promues par cet autre modèle(plus convivial) de référence en gestion. Ce sont des pas qui comptent; ce sont des signes annonciateurs d'un nouveau paradigme en gestion (C.S.E.,1993,p.53). Mais nous sommes loin de vivre une utopie partagée par l'ensemble des agents de l'éducation, que ce soit le ministre ou le plus humble stagiaire en enseignement, en passant par chaque membre de la direction et du personnel enseignant. En effet, il est déplorable de constater certaines distorsions que subit le nouveau discours axé sur le leadership pédagogique. On affirme que ce leadership est centré sur les apprentissages de qualité à l'école, ce qui est bien pédagogiquement, mais on ajoute que la qualité sera assurée par un contrôle de la qualité(la supervision pédagogique). Certes, on promet aide et support au personnel de l'école. Mais on insiste sur le contrôle et on est peu loquace sur l'exercice du leadership pédagogique au sein d'une collégialité pédagogique décisionnelle. La gestion scolaire semble encore trop empreinte d'un pouvoir teinté d'absolutisme, où les directions acceptent peu de partager les décisions selon l'expertise de chacun. En effet, selon le CSE.(1993, p.18) le constat portant sur le caractère contraignant du cadre d'exercice de la gestion révèle, plus fondamentalement, l'excès de centralisation au sein du système d'éducation. A cet égard, on note que la centralisation n'est pas que le lot des administrations nationales mais qu'elle caractérise aussi les pratiques de gestion locales. La collégialité pédagogique conduirait inévitablement à mettre les fameuses consultations de côté et à prendre, ensemble, des décisions pédagogiques à la suite de consensus ou, à tout le moins, de démarches démocratiques.

 Une démarche démocratique

            Pourquoi ne pas aller plus loin par l'opérationnalisation de cette collégialité pédagogique dans une structure où les enseignantes et les enseignants et les membres de la direction se concerteront pour prendre l'initiative de la pédagogie à l'école, leur domaine d'expertise. Ce leadership n'a rien d'autoritaire. Il imprime plutôt une impulsion suivant les intentions profondes préalablement clarifiées. Son exercice suppose la confiance réciproque, le partage des tâches par zone d'influence et une compétence de qualité. Il n'y a pas de véritable éducation sans une animation constante du milieu où l'on tentera de susciter des motivations plutôt que d'imposer des objectifs. Ce cadre d'action n'empêche pas de formuler des jugements critiques et des réactions, agissant comme des catalyseurs et des déclencheurs.

            Cette dynamique ne saurait se développer sans une action démocratique où l'on accorde à la direction des mandats de façon concertée et voulue à partir de résolutions régulièrement votées par l'ensemble du personnel.

            Il appartient donc au personnel enseignant et à la direction, en collégialité, de se réunir, d'élaborer un projet éducatif(ce pourrait être un plan triennal pour qu'il ait de bonnes chances de se réaliser), de l'écrire et de le présenter aux instances administratives afin d'en vérifier la faisabilité matérielle. Cette réunion aurait lieu parallèlement à une consultation des parents et des élèves sur les différents éléments pouvant être de leur ressort afin d'obtenir leur concours. Pendant les trois années du mandat, les leaders, animateurs et coordonnateurs, c'est-à-dire la direction, auraient vraiment la responsabilité de la réalisation du mandat. Il ne faudrait pas retomber dans le piège de la bureaucratie paralysante et encore moins dans celui d'une animation où tous doivent participer à la moindre décision. Il sera aussi nécessaire de départager la gestion administrative de la gestion pédagogique, prenant également garde de séparer les relations de travail de la vie pédagogique. Les responsables consentiront, en toute liberté, à jouer le rôle qui leur échoit. Les leaders animateurs devront justifier le bien-fondé de leurs décisions et associer des collègues enseignants à leur réalisation, afin d'être conformes au milieu et non à eux-mêmes. Que le personnel enseignant soit partie prenante aux enjeux éducatifs ne va pas contre l'idée de responsables. En fin de mandat, ces derniers feront le bilan du plan projeté et réellement réalisé avec la participation de leurs collè­gues. On souhaite éviter la mise en place d'une structure lourde et promouvoir la participation du plus grand nombre.

            Idéalement, les leaders animateurs ou directeurs d'école devraient être élus par le personnel enseignant. Peut-être n'en sommes-nous pas encore rendus à élire les membres de la direction d'une école. Mais quelle direction d'école, actuellement, au nom du leadership pédagogique exercé en collégialité, pourrait refuser de laisser évaluer son action pédagogique par le personnel enseignant, tout comme l'inverse devrait se faire, c'est-à-dire une évaluation du personnel enseignant par l'ensemble des enseignants? Quelle direction ne profiterait pas de l'occasion pour rectifier le tir, à la suite des critiques constructives issues d'un engagement professionnel? Quelle direction aurait le courage et l'appui pour continuer à vouloir exercer le rôle de leader advenant une évaluation négative?

            Cette appropriation de l'éducation par les éducateurs signifie, ultimement, une prise de responsabilité de leur part et non pas une prise de pouvoir. En se centrant sur les buts et les objectifs de leur profession, ils s'assureront une emprise réelle sur leur mission éducative et les exigences qui en découlent. La collégialité pédagogique doit être intégrée à la réalité quoti­dienne afin d'en arriver à réaliser une expérience de participation fondée sur la conviction qu'il s'agit là d'une option fondamentale qui se traduit par des gestes conséquents et naturels dans la pratique quotidienne.

 Des exemples vécus de collégialité pédagogique 

            Attention! Comme Paquette(1990) le dit si bien dans L'effet Caméléon, je ne parle pas d'exemples vécus selon le discours tenu, mais bien selon la réalité. Donc, pour s'assurer qu'il s'agit bel et bien de collégialité pédagogique, il faut se référer à la condition minimale expliquée plus haut, à savoir une évaluation au grand jour et systématique de la gestion pédagogique de la direction par les membres du personnel enseignant avec les conséquences afférentes ou, mieux encore, des directions d'école élues par les membres du personnel enseignant. Sinon, nous en restons à des voeux pieux, où des impératifs administratifs en viennent toujours à justifier des décisions souvent peu pédagogiques.

             On peut approfondir cette réflexion sur le vécu d'une telle démarche en consultant Le Nouvel Éducateur, revue pédagogique de l'ICEM(institut coopératif de l'École Moderne), Une alternative pour la direction d'école: l'équipe pédagogique, no. 199, 1988. Aux pages 5 et suivantes, on trouve quelques exemples d'écoles faisant l'expérience de la collégialité pédagogique. Que ce soit sous l'impulsion d'un "conseil des maîtres", ou d'un "conseil d'école", le projet éducatif est l'idée maîtresse qui rassemble et inspire la structure d'une école de ce genre. A cet égard, l'expérience de l'école spécialisée de l'IMP Clair Joie à Lamure est axée sur un projet de pédagogie coopérative institutionnalisée.

            Dans Leadership for tomorrow's school, Patterson(1992) explique comment une entité aussi grande qu'une commission scolaire(district américain) a pu réaliser une telle collégialité pédagogique non seulement dans chaque école, mais à la grandeur du "district", certes, en respectant toujours l'expertise de chacun. À partir de la question "qui décide comment décider", il explique une stratégie de gestion participative. Pour décider, comment résoudre cette question, il faut encore une fois s'en remettre aux valeurs essentielles en rapport avec un esprit d'ouverture. Croyons-nous vraiment que le pouvoir de prendre des décisions et de faire des changements effectifs devraient appartenir à tous les paliers de l'organisation? Croyons-nous que l'expertise collective propre au personnel contribue à prendre des décisions plus sensées que la seule expertise des personnes au haut de l'organigramme? Croyons-nous que la participation du personnel est beaucoup plus effective quand les personnes ont accès au soutien, à l'information et aux ressources nécessaires pour accomplir leur tâche? En d'autres mots, croyons-nous en la nécessité d'ouvrir l'organisation à la participation? Sur ce point-ci, la réponse devrait être oui. Conséquemment, il s'ensuit logiquement que le groupe devrait décider comment les décisions sont prises dans les aspects de l'organisation qui les concernent.

            Un principe de ce genre appliqué dans les faits par le personnel de direction d'un district scolaire(du directeur général aux adjoints des écoles) ne peut faire autrement que mettre à contribution de façon décisionnelle les différents membres d'une commission scolaire. Comment, dès lors, dans un tel organisme pédagogique ne pas tenir compte des membres du personnel enseignant, dans toutes les décisions qui ont des conséquences sur la pratique quotidienne de la classe, et ce, à tous les paliers décisionnels, surtout en ce qui concerne l'école. En d'autres mots, tout membre de la direction doit son emploi à quoi? Au fait que des jeunes doivent être éduqués. D'une certaine façon, les membres de la direction ne sont ni plus ni moins importants que l'enseignante et l'enseignant, dont la seule raison d'être, pour les uns comme pour les autres, est les jeunes dans la classe.

            C'est pourquoi, de tous les membres du système scolaire, les enseignantes et les enseignants sont, sans doute, celles et ceux qui sont le plus près de l'éduqué et qui exercent la responsabilité la plus pressante. Tout passe par eux, on devrait non seulement les écouter mais bien plus respecter leur expertise en les faisant participer au leadership pédagogique.

            Entre l'autoritarisme, la bureaucratisation, le laisser-faire et la collégialité, il y aura toujours la personnalité professionnelle des enseignantes et des enseignants et leurs forces vives que l'on mobilise ou que l'on démobilise. La collégialité pédagogique n'est pas une stratégie administrative, elle est une façon d'être!

Références

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